En quoi les rituels des grades symboliques du rite écossais rectifié sont-ils martinésistes ?

Roger Dachez

(Tenue du 27 juin 2019)

Ce soir notre Vénérable revient sur un thème déjà abordé dans notre Loge mais ô combien important : le concept de para théurgie à travers la question suivante : en quoi les rituels des grades symboliques du rite écossais rectifié sont-ils martinésistes ?

Voilà une question polémique aujourd’hui au sein du régime écossais rectifié caractérisée par 2 positions extrêmes : il y a ceux qui estiment que la pratique théurgique martinésiste fait partie intégrante du régime qui culmine alors dans l’Ordre des Elus Coëns, et il y a ceux qui rejettent purement et simplement le martinésisme comme charlatanesque et dangereux. Mais entre ces 2 choix, une position raisonnable et réfléchie, qui consisterait à ne pas ignorer la doctrine de Martinès sans pour autant tomber dans une pratique théurgique débridée, n’est-elle pas possible ?

Dès la mort de Martinès de Pasqually en 1774 la question s’est posée du devenir de son œuvre. Ses premiers disciples ont tenté de l’expliquer comme en témoignent Les Leçons de Lyon aux Elus Coëns (éditées par Robert Amadou, chez Dervy en 1999) qui se tinrent jusqu’en 1776. Travail difficile mais quoiqu’il en soit de leurs efforts, c’est le Régime écossais rectifié qui naîtra à Lyon précisément en 1778 tandis l’Ordre des Elus Coëns cessera toute activité en 1780. On notera que les tentatives de réveil de cet ordre qui ont lieu au XXe siècle, dont celle de Robert Amadou, n’ont guère donné de bons fruits. Au convent de Lyon de 1778, donc, moment fondateur du rite écossais rectifié il est décidé de conserver –même de manière allusive- la doctrine de Martinès qui va irriguer et donner son sens aux 4 grades symboliques de la Maçonnerie rectifiée et d’abandonner toutes les opérations théurgiques pratiques.

Ainsi la Maçonnerie symbolique rectifiée a bel et bien une structure martinésiste qui donne une signification propre aux symboles et, en ce sens, le rite écossais rectifié est martinésiste.

L’histoire des rituels rectifiés en cette fin de XVIIIe siècle le montre également.

Lorsque les rituels de la Stricte Observance –que l’on pourrait qualifier de proto rectifiés- traduits en français par Abraham Bénard arrivent à Lyon en 1774 ils ne doivent rien, évidemment, à la pensée de Martinès.

En revanche ceux de 1778 élaborés à Lyon doivent beaucoup au thaumaturge et, même si son influence n’est pas apparente –ostensible, comme on dit alors- sa doctrine donne une signification cohérente et homogène au nouveau rite écossais rectifié, notamment par l’idée d’histoire secrète de l’initiation telle qu’elle sera développée dans l’instruction aux Grands Profès.

Ce sont ces rituels qui sont adoptés à Wilhelmsbad en 1782.

Cependant la « victoire » de Willermoz à ce convent fut une victoire à la Pyrrhus puisque la réforme de Lyon ne sera pas adoptée en Allemagne. Le mystique Lyonnais se sent alors libre des engagements pris au convent et donne alors aux rituels rectifiés une marque plus explicite. Il procède à ce que l’on nomme « la dernière révision » dans les années 1786-1788, révision au cours de laquelle il injecte, clairement cette fois, des notions martinésistes dans les rituels : feu, terre et eau lors de la réception au 1er grade, les métaux au 2e grade, autant d’éléments issus de la physique martinésiste, le tout appuyé sur un appel explicite à l’intervention directe de la divinité lors des prières (« Bénis et dirige-toi-même les travaux de l’Ordre »). Ce n’est pas de la théurgie au sens strict mais une sorte de para théurgie.

Aujourd’hui une pratique cohérente et signifiante de cette Maçonnerie complexe doit tenir compte de ces enseignements martinésistes. Et comme ces enseignements sont répartis dans les 4 grades symboliques du rite rectifié, il est recommandé de travailler au grade de Maître Ecossais de Saint-André si l’on veut avoir une vision globale et complète du Régime, que ce soit en matière d’arithmosophie, de cosmologie ou d’anthropologie, où les correspondances entre l’Homme, Dieu et l’Univers peuvent s’appréhender dans leur totalité pour prendre conscience du drame cosmique dans lequel nous sommes plongés et qui nous devons comprendre et revivre pour en être libéré.