Réflexion sur le grade de Compagnon dans le Régime rectifié
Roger Dachez
(Tenue du 25 avril 2019)
Dans ce Régime, le grade de Compagnon, s’il conserve les invariants universels de la Maçonnerie, acquiert une consistance particulière. Pour l’expliquer il est nécessaire de savoir comment le grade de compagnon s’est constitué et individualisé au cours du XVIIIe siècle.
Avant les années 1720, la Maçonnerie est en 2 étapes : 1. Apprenti ; 2. Compagnon ou Maître. C’est en 1730 qu’un système en 3 grades apparaît au grand jour. Or, comme c’est l’ancien « grade » ou étape de compagnon ou Maître qui sert de base au grade de Maître, le vrai nouveau grade de ce système est celui de Compagnon qui ne conserve plus qu’un contenu simple quoique fondamental : la lettre B et la lettre G ou God au centre de l’étoile flamboyante.
Dans les décennies 1730-1750 le grade de Compagnon n’est pas séparé de celui d’Apprenti et est délivré dans la même soirée.
C’est à partir des décennies suivantes, 1760-1780, qu’il commence à s’individualiser de manière très diverses selon les rites en cours de constitution. Le grade se structure principalement autour d’éléments pseudo-opératifs où le symbolisme des outils s’en donne à cœur-joie.
Le régime Rectifié propose un projet original en donnant au grade une thématique spécifique autour du miroir et de la connaissance de soi-même. Le miroir est l’instrument qui permet de se regarder tel qu’on est dans la perspective d’un changement radical. En cela le grade de compagnon rectifié s’inscrit dans la suite du précédent où le candidat a appris qu’après la Chute, l’Homme a perdu la ressemblance divine : il est défiguré et difforme tout en gardant, heureusement, un faible rayon de la lumière originelle. Le grade de compagnon l’invite donc à retrouver cette image de Dieu, toujours présente en lui, inamissible i.e. qu’on ne peut perdre, pour tenter d’y ressembler à nouveau. Comme apprenti le candidat reçoit symboliquement la lumière, comme compagnon il apprend qu’il doit aller à la recherche de Dieu comme nous y invite le début du prologue de l’Evangile de Jean : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu ». C’est le programme spirituel que nous propose le régime rectifié. Les Instructions nous apprennent que le premier grade est celui du commencement des choses et le deuxième celui de la durée des choses, grade dans lequel le Maçon rectifié parcourt emblématiquement, symboliquement, sa vie maçonnique pour retrouver ce qui a été perdu. Il y a une redistribution symbolique de la vie de l’homme à travers ces grades et c’est le travail fondamental auquel la Maçonnerie rectifiée invite le candidat. Ainsi le grade de Compagnon prend une dimension essentielle dans le Régime et éclaire le projet de vie véhiculé par la Maçonnerie.
Au cours de la discussion qui suit les Frères insistent sur quelques moments forts de la cérémonie de passage : les voyages qui évoquent une progression par rapport au 1er grade ; le miroir ; les pas qui donnent une idée de l’immensité du chemin à parcourir.
Ils notent la cohérence du régime d’un grade l’autre et le fait qu’il redonne une vraie épaisseur au grade de Compagnon, un caractère élevé sans équivalent dans les autres systèmes maçonniques.
Le rituel d’ouverture du grade de Compagnon annonce le programme, la connaissance de soi-même, et la méthode : la raison qui nous instruit comme le veut la condition humaine ; la religion, i.e. le christianisme, qui nous perfectionne, c’est-à-dire, au sens du XVIIIe siècle, nous conduit vers la perfection i.e. Dieu lui-même qui en est l’emblème ; l’univers nous en présente le tableau à méditer.
Sur le caractère chrétien de la Maçonnerie en général et rectifiée en particulier, il faut insister sur le fait que la perspective maçonnique n’est pas la même que celle des églises : les églises enseignent, délivrent des sacrements, etc.; la maçonnerie se concentre sur le dénominateur commun à tous les chrétiens sans être elle-même une religion et insiste sur ce qui réunit et non sur ce qui sépare, comme Willermoz l’espérait. En somme c’est une fraternité opérante, des principes mis en œuvre, une utopie en voie de réalisation. C’est l’universalité maçonnique, image de l’univers.