Lecture commentée de la 2e partie des Instructions par demandes et réponses au grade d'Apprenti
(Tenue du 5 juin 2018)
D&R 43 et 44
D. En quelle qualité avez-vous été introduit en Loge et reçu Franc-Maçon ?
R. J'y ai été introduit d'abord comme Cherchant. Après avoir confirmé mes bons désirs et ma ferme résolution, j'ai été reconnu Persévérant. Et lorsque je me suis livré aux épreuves, j'ai été déclaré Souffrant.
D. Pourquoi cela ?
R. Pour m'apprendre qu'il ne suffit pas au vrai Maçon de chercher et de persévérer, mais qu'il faut aussi qu'il sache souffrir pour parvenir au terme heureux de ses recherches.
La triade « cherchant, persévérant, souffrant » est spécifique au Rite Ecossais Rectifié. On ne la trouve ni dans la tradition maçonnique française du XVIIIe siècle ni dans les rituels de la Stricte Observance. Il s’agit d’une élaboration des Frères Lyonnais qui montre l’état d’esprit de ce milieu maçonnique très imprégné de spiritualité catholique baroque selon laquelle la souffrance est une épreuve nécessaire, une voie d’accès pour s’approcher de la vérité divine. Vue ainsi la souffrance est une valeur spirituelle. Intégrée dans le RER à la fin des années 1770, la notion de souffrance symbolique est placée au cœur du processus initiatique.
On notera que cette triade est appliquée ensuite aux 3 premiers grades rectifiés : l’Apprenti est cherchant ; le Compagnon persévérant et le Maître souffrant.
Si, au XVIIIe siècle, le mot « souffrir » peut avoir un sens plus édulcoré (par exemple : « Souffrez que je vous dise… ») la souffrance est, dans la mystique classique, le 1er moment d’abandon à Dieu, moment qui se réfère, évidemment, aux souffrances endurées par le Christ.
L’homme souffre parce qu’il a été déchu de son état premier et il doit faire un effort considérable pour retrouver cet état originel. On retrouve cette thématique dans le Traité de Martinès de Pasqually.
Dans la Maçonnerie symbolique, qui n’a rien de doloriste, on pourrait y voir l’idée qu’il faut se « faire violence » si l’on veut avancer dans la « carrière » et arriver au terme de ses recherches. En assimilant l’initiation à une sorte de « grâce », on rappelle que l’initié est appelé à l’accueillir et à y coopérer par un effort volontaire. C’est la problématique de la foi et des œuvres.
D&R 45 et 46
D. Comment avez-vous obtenu l'entrée de la Loge ?
R. Par trois grands coups.
D. Que signifient ces trois coups ?
R. Trois passages de l'Evangile qui sont : demandez, on vous donnera, cherchez et vous trouverez, frappez et on vous ouvrira.
L’explication des 3 grands coups d’entrée en Loge est particulièrement transparente et très ancienne en Maçonnerie puisqu’on la trouve dans les textes britanniques du début du XVIIIe siècle. Elle montre que la référence fondamentale de la Maçonnerie est le christianisme.
Le candidat frappe donc à la porte de la Loge. C’est lui qui prend l’initiative de sa réception et il sera reçu, comme il pourra recevoir la grâce évoquée plus haut. Mais il doit coopérer à cette réception et c’est ce que signifie cette demande, démarche essentielle dans le processus initiatique.
Il y a là une distinction à effectuer entre l’initiation et les sacrements. Si dans la tradition chrétienne ceux-ci peuvent agir par eux-mêmes, en dehors de la volonté du récipiendaire (ex : le baptême), la démarche initiatique est obligatoirement une action volontaire de la part du candidat. De là peut-être la méfiance des églises constituée vis-à-vis du processus initiatique qu’elles perçoivent comme un complément illégitime des sacrements. Or il ne s’agit pas de cela : la Maçonnerie, qui n’est pas une religion, ne fait que proposer ce que l’on peut considérer comme une sorte d’exercices spirituels, certes, pas obligatoires mais qui peuvent aider celles et ceux qui ont besoin de cette « béquille » pour profiter de la grâce. La Maçonnerie n’est pas sacrée, elle est une invitation à s’y rapprocher.
D&R 47 à 49
D. Comment étiez-vous habillé en entrant en loge ?
R. Je n'étais ni nu ni vêtu, et j'étais dépouillé de tous métaux.
D. Pourquoi avez-vous été déshabillé ?
R. Pour m'apprendre à ne mettre aucune confiance dans les choses illusoires et à ne pas me laisser tromper par les apparences.
D. Pourquoi avez-vous été privé de vos métaux ?
R. Parce que le Temple de SALOMON fut construit avec des matériaux si bien préparés que l'on n'entendit le bruit d'aucun outil pour les mettre en oeuvre.
Le dénuement partiel du candidat ne figure pas dans les plus anciens textes écossais de la fin du XVIIe siècle et apparaît en Angleterre dans les années 1720 et en France dans les années 1740. L’intention première est de déstabiliser le candidat, de le mettre mal à l’aise. Les explications plus sophistiquées viendront après.
Quant à l’abandon des métaux il fait évidemment allusion aux circonstances de la construction du Temple de Salomon à partir d’instructions divines mais on peut y voir aussi une référence au dénuement du candidat à son entrée en Maçonnerie ainsi qu’un discret rappel de l’impérieux devoir du Maçon de porter assistance aux plus démunis.
Plus spécifique au rectifié, un rapport est aussi établi entre le candidat et le Temple de Jérusalem.
D&R 50 et 51
D. Qu'avez-vous aperçu en entrant en loge ?
R. Rien que l'esprit humain puisse comprendre, étant privé de la lumière.
D. Pourquoi avez-vous été privé de la lumière ?
R. Pour me préserver de toute distraction et m'apprendre à me défendre de toute vaine curiosité.
Et voici le thème de la lumière qui cristallise, là encore, une opposition entres les églises constituées et la Maçonnerie : un chrétien, qui a donc reçu la lumière du Christ, a-t-il besoin d’une autre lumière ? Mais à y regarder de plus près, le texte maçonnique n’évoque ici qu’une lumière physique ou matérielle, pour nous préparer à mieux appréhender une autre lumière, la lumière spirituelle. Le RER ne prétend pas se substituer à cette étincelle de lumière (spirituelle ou divine) qui est présente en chaque homme, mais encore faut-il la regarder et la faire fructifier. La cérémonie d’initiation le rappelle discrètement en délivrant la lumière au candidat en 2 temps : on aperçoit d’abord la lumière, puis on la voit. Encore une fois il y a là une invitation à un exercice ou entraînement spirituel que nous propose la franc-maçonnerie : la lumière est innée en nous, elle est inamissible (on ne peut la perdre) mais c’est à nous à faire l’effort volontaire d’y ressembler dans sa plénitude.
D&R 52 à 55
D. Qui est-ce qui vous a reçu à l'entrée de la Loge ?
R. Le Frère Deuxième Surveillant, qui m'a ensuite été donné pour guide.
D. Qu'a-t-il fait de vous ?
R. Il m'a fait faire trois voyages, passant par différentes routes, pendant lesquels j'ai reçu du Vénérable Maître des maximes salutaires.
D. Qu'a-t-il fait ensuite ?
R. Il m'a fait monter et redescendre les trois premières marches de l'escalier du Temple et par trois pas il m'a conduit à l'autel d'Orient.
D. Que vous est-il arrivé à l'Orient ?
R. Le Vénérable Maître m'a fait mettre le genou droit sur l'Equerre, la main droite sur l'Evangile de Saint Jean, tenant de la gauche la pointe d'un Compas sur le coeur, et dans cette attitude, j'ai prononcé mon engagement à la manière des Maçons.
C’est une description d’un passage de l’initiation. Les « instruments » du serment sont constants en Maçonnerie : la Bible sur laquelle repose la main, le compas (sur le cœur), l’équerre (symbolisée par le genou). Les traditions des « Modernes » (le Rectifié est de cette tradition) et des « Anciens » les dispose différemment mais les éléments demeurent les mêmes. A noter qu’en France on a rajouté l’épée sur la Bible.