Lecture commentée de l’Instruction morale du grade d’apprenti
IVe et dernière partie
(Tenue du 6 mars 2018)
Résumé des épisodes précédents : le candidat a fait les voyages, il a prêté serment, il a reçu la lumière en 2 moments, ce qui une spécificité rectifiée.
"Les Surveillants vous ont reconduit à l'Orient, et vous y avez reçu des mains du Vénérable Maître l'habit caractéristique des Maçons, et les signes, l'attouchement et mot de votre grade pour vous faire reconnaître."
Le candidat reçoit son habit, et les signes, attouchement et mot du grade. Si ces 3 derniers éléments sont secrets et couverts par le serment qu’a prononcé le candidat, on sait bien qu’ils ont été publiés depuis longtemps (une des plus anciennes divulgations imprimées en 1744 s’intitule justement Le Secret des Francs-maçons), alors à quoi sert ce serment ? Certainement pas à protéger ces pseudo-secrets connus de tous ceux qui s’y intéressent pour une raison ou pour une autre. On peut dire que ce serment est le symbole d’un autre serment, d’un serment d’une autre nature, immatérielle et invisible, relative à l’engagement spirituel du Maçon. C’est cela qui fait la valeur et l’importance du serment et il importe que le candidat en prenne conscience. En donnant une telle dimension au serment, la Maçonnerie peut être considérée comme une uchronie, une société en dehors du temps d’aujourd’hui où le serment n’a certainement plus la place qu’il avait autrefois."
"L'Orient maçonnique signifie la source et le principe de la lumière que cherche le Maçon. Elle vous a été représentée par le chandelier à trois branches qui brûlait sur l'autel d'Orient comme étant l'emblème de la triple puissance du Grand Architecte de l'Univers. Cette lumière est le premier vêtement de l'âme, l'habit qu'on vous a donné n'en est que la figure et sa blancheur en désigne la pureté."
Nous avons ici un parallèle assez inhabituel dans la tradition maçonnique entre la lumière de l’Orient, la lumière qui est le 1er vêtement de l’âme et le tablier qui en est la figure. D’une manière générale le rite écossais rectifié donne peu de place aux références opératives de la Maçonnerie, et celles qu’il conserve reçoivent une explication symbolique propre. Ici le tablier n’est pas le vêtement protecteur du maçon, c’est la figure de la lumière, lumière qui est elle-même le premier vêtement de l’âme, et qui se réfère, selon l’emblème que représente le chandelier à 3 branches à la triple puissance du Grand Architecte de l’Univers, de Dieu. On indique par là que, d’une certaine manière, la lumière divine se reflète dans l’Homme. Quant à la triple puissance du GADLU, si l’on pense bien sûr à la trinité, elle a aussi une signification issue de la doctrine martinésiste : ce sont la pensée, la volonté et l’action de Dieu.
"Le signe qu'on vous a donné, séparant la tête d'avec le buste, vous rappelle la supériorité originelle de l'homme sur tous les animaux ; gardez-vous donc d'assimiler sa nature à la leur. L'attouchement est le signe de l'union fraternelle que vous avez formée avec tous les membres de l'Ordre. Et le mot que vous avez reçu vous rappelle le principe créateur de toutes choses."
Comme le tablier, le signe reçoit une signification propre au RER. Dans la tradition maçonnique antérieure le signe est le rappel symbolique du châtiment auquel était condamné un parjure, ce que rappellent les instructions (& 21) en donnant « l’ancienne formule du serment » (& 21) : « avoir la tête coupée ». Lors du Convent des Gaules, tenu à Lyon en 1778, cette formule a été jugée inappropriée et, tout en conservant le signe tel qu’il était, lui a donné une signification autre que pénale. En désignant la tête comme la partie la plus élevée du corps, on veut mettre en avant la dimension divine de l’Homme, indiquer sa place éminente dans l’Univers, souligner sa supériorité sur le monde animal.
Relativement aux châtiments on peut rappeler que le RER a proscrit, dès le XVIIIe siècle, les grades qui pouvaient laisser entendre que les châtiments pourraient être appliqués (grades de vengeance). Dans la Francs-maçonnerie française la référence à ces châtiments disparaît au cours du XIXe siècle et la Grande Loge Unie d’Angleterre les retirera des serments en 1986.
L’attouchement et le mot reçoivent aussi une signification rectifiée. Ici le mot Jachin signifie « Dieu m’a créé » (cf. Instruction par demande et réponse, première section, D/R n° 8) ce qui résume parfaitement le grade d’Apprenti qui se situe symboliquement à la naissance de l’univers, de l’Homme et des choses. Le candidat est invité à revivre et à méditer le drame cosmique originel.
"On vous a reconduit à l'Occident pour vous faire reconnaître en votre nouvelle qualité par les Frères Surveillants et votre Proposant, et ils ont scellé cette reconnaissance d'un baiser fraternel. Mais, mon cher Frère, si dans l'un vous avez retrouvé celui qui avait été votre premier conseil, vous avez dû reconnaître parmi les autres celui que le Vénérable Maître vous avait donné pour guide dans vos plus pressants besoins, et certainement il a un droit particulier à votre reconnaissance. Je laisse à votre spéculation le soin d'expliquer tout ce qu'il y a d'important pour vous dans cet emblème."
Au début de la réception qui, rappelons-le, commence bien avant que le candidat entre en Loge, on lui bande les yeux, avec son accord, et on lui demande de faire quelque pas. Dans l’impossibilité qu’il a d’avancer, on lui fait prendre conscience qu’il a besoin d’un guide pour continuer son périple. C’est une notion fondamentale qui est enseignée par l’Ordre au candidat dès le début de sa carrière spirituelle. Pour avancer dans cette voie à laquelle il aspire, l’homme, environné de dangers d’autant plus graves qu’il les ignore, a besoin des secours d’un guide. Ce guide lui sera toujours accordé pour peu qu’il le demande et le cherche.
"Enfin le Vénérable Maître a chargé ce guide fidèle de vous apprendre à travailler sur la Pierre brute et, dirigé par lui, vous avez essayé vos forces dans ce travail par la batterie de votre grade. Cette Pierre brute est l'emblème de l'Apprenti Maçon qui, sortant du tumulte des sociétés profanes, commence à se connaître, à sentir son ignorance, et reconnaît le pressant besoin de travailler sérieusement à améliorer tout son être."
Classiquement la pierre « brute » est l’emblème du candidat et de l’Apprenti. Mais qu’est-ce que cela signifie ? On sait qu’opérativement parlant, une pierre brute n’est pas un caillou informe. C’est une pierre déjà travaillée, en termes de métier, une pierre « capable » de devenir une pierre cubique. Et de fait, le candidat est une personne majeure qui a déjà reçu une formation, une éducation. En demandant sa réception dans l’Ordre, il exprime son libre désir d’entrer dans la voie maçonnique en espérant qu’il soit « capable » de la suivre, de s’en montrer digne.
"La batterie de trois coups inégaux par laquelle vous avez commencé ce travail vous indique les moyens de le faire avec fruit. Les deux premiers coups précipités désignent la loi de nature qui fut donnée à l'homme pour le diriger dans le premier âge du monde et la loi écrite qui fut donnée à Moïse sur le Sinaï pour le second âge. Mais le dernier coup détaché vous indique la perfection de la loi de grâce pour le troisième, et la force qui résulte pour le chrétien de la réunion de toutes et de l'accomplissement des deux premières."
Le travail spirituel lui est indiqué par la batterie du grade qui a une signification propre : les 3 coups symbolisent les 3 lois spirituelles. La première, celle du 1er âge, est la loi de nature, celle d’Adam et de Noé. La deuxième est la loi écrite, celle que Moïse a reçu sur le mont Sinaï. Et la 3e, dont l’excellence est marquée par le dernier coup détaché des deux autres et plus fort (cf. Instruction par demande et réponse, première section, D/R n° 25) désigne la loi de la grâce divine, celle de Jésus de Nazareth qui accomplit les 2 précédentes. Dès le grade d’apprenti, on lui rappelle que la grâce divine est présente à l’origine de l’Homme, de sa vie.
C’est assez souligné que le RER s’inscrit totalement dans la tradition chrétienne qui est la clef indispensable pour comprendre son symbolisme. Comme cette tradition, la tradition maçonnique en général et le RER en particulier proposent un parcours spirituel fondé sur la révélation et l’histoire biblique que le candidat est invité à approfondir et à méditer. La spécificité de la Franc-maçonnerie, la méthode maçonnique, est de proposer ce contenu, cet enseignement spirituel à travers des symboles et des rituels propres par le moyen desquels le candidat peut espérer vivre et revivre, avec ses frères, ensemble, cette révélation qui, au-delà du discours, le transformera.
"Le tapis que vous voyez devant vous représente le Temple fameux qui fut élevé à Jérusalem par le Roi SALOMON à la gloire du Grand Architecte de l'Univers. Il est le type fondamental de la Franc-Maçonnerie et l'objet continuel des profondes méditations des Maçons. Vous ne sauriez donc trop vous attacher à étudier le sens de tous les symboles qu'il vous offre."
Le tapis, c’est le tableau qui représente la Loge, c’est la représentation symbolique du Temple de Salomon qui est le type, le modèle, fondamental du Temple et de la Franc-maçonnerie. La méthode typologique qui consiste à voir les personnages, les objets, les évènements, les bâtiments de l’Ancien testament comme la préfiguration de ceux que l’on trouvera dans le Nouveau est fondamentale dans la tradition chrétienne. La franc-maçonnerie reprend cette méthode et l’étude de la composition du Temple, de son histoire qui se confond presque avec l’histoire biblique, est proposée aux méditations continuelles des Francs-maçons. L’histoire du Temple préfigure-t-elle l’histoire de l’Homme et de l’Univers ?
"Je n'entrerai point dans le détail de leurs explications, elle vous sera donnée par l'instruction particulière qui s'y rapporte, et que vous allez entendre."
L’instruction par demandes et réponses est le complément de l’instruction morale. Les 2 textes sont à étudier ensemble.
"Vous avez amplement reçu, mon cher Frère, matière à réflexion."
Dans le Rectifié, l'expression "matière à réflexion" prend un sens particulier : de spiritualiser la matière...
"Travaillez donc par vous-même à pénétrer le sens de nos mystères, mais défiez-vous d'une curiosité indiscrète qui ne pourrait que vous égarer. Méditez souvent les questions et les maximes qui vous ont été présentées aujourd'hui, ne négligez point les secours qui vous sont offerts pour assurer vos pas dans la carrière que vous venez de commencer. Choisissez vos modèles, et consultez souvent ceux qui vous auront paru les plus dignes de votre choix d'après ces principes."
Le travail maçonnique est un travail volontaire et libre.
"Je ne doute pas, mon cher Frère, qu'en suivant cette voie vous ne bénissiez un jour le moment où on a ouvert vos yeux à la lumière."