Lecture commentée de l’Instruction morale du grade d’apprenti

IIIe partie

(Tenue du 2 février 2018)

“Vous avez été conduit par trois pas d'équerre à l'Orient, et là, après avoir été interpellé trois fois de déclarer si c'était bien par un pur et libre effet de votre volonté que vous demandiez à être reçu, le genou droit sur l'Equerre et la pointe du Compas sur le coeur, vous avez solennellement pris à témoin le Grand Architecte de l'Univers de vos engagements.”

Poser cette question à trois reprises est un archaïsme de la maçonnerie française.

Le plus ancien rituel français connu, Hérault 1737, a déjà cette triple interprétation : “avez-vous la vocation ?” On n’a pas besoin de la Franc-maçonnerie pour accomplir un parcours spirituel et moral. On peut donc s’en passer. En revanche, pour y rentrer il faut le vouloir mais également le désirer. Ce libre appel qu’on se lance à soi-même est déterminant. L’essentiel, c’est de ressentir un jour (même après) que l’on est appelé. On n’est pas un pantin dans la Franc-maçonnerie. Il ne s’agit pas d’une révélation au moment où le bandeau tombe ; ce n’est pas de la magie. C’est un parcours progressif. Il faut avoir de la patience pour construire ce chemin.

Ce sur quoi le candidat prête serment - les yeux bandés - est l’évangile de St Jean. Depuis plus de 35 ans de maçonnerie, notre VM a constaté que les candidats semblent confiants quand on leur demande si leur main est bien sur l’Evangile… Il faut qu’ils le sachent et qu’ils en soient sûrs.

Il y a une différence entre le RER et Emulation. Dans ce dernier cas, on prête serment sur les 3 grandes lumières. Au RER, le compas et l’équerre sont présents, et donc les 3 grandes lumières, mais avec un agencement différent :

  • Compas contre le coeur
  • Genou dans l’Equerre
  • Main sur l’Evangile

Cela a d’ailleurs posé problème avec les principes de base de reconnaissance de la GLUA : les 3 grandes lumières doivent être exposées à la vue du candidat. On a même vu dans certaines Loges rectifiées, par inculture maçonnique, l’ajout des 3 grandes lumières. Mais on peut dire que tous les rites reçoivent les candidats sur les 3 grandes lumières. Il s’agit d’un symbolisme universel : entre l’équerre (terre) et le compas (ciel), on trouve le livre (parole divine).

Quelques échanges suivent :

  • Le principal objet de la maçonnerie est l’instruction maçonnique. Dans les textes rectifiés, il y a toujours une explication maçonnique classique et une autre qui renvoie à des clés de compréhension spécifiques et liées à 2 auteurs : Martinez de Pasqually et Louis-Claude de Saint-Martin. Témoin constant du RER, Saint Martin a une pensée commune à ceux qui ont façonné ce rite.
  • La thématique du guide est très importante dans la pensée chrétienne en général, mais dans un rituel, il s’agit d’action et de rendre concret un état. Dans la vie courante, nous pouvons apparaître comme « errant ». Nous ne prenons guère le temps de nous arrêter et de nous interroger sur cette « errance ». La spécificité maçonnique, c’est de pouvoir s’y interroger. Le candidat, les yeux bandés, qui marche seul, livré à lui-même, figure, par le geste, la destinée humaine « errante » mais qui use de sa volonté à la recherche d’un guide. Il s’agit alors de rechercher à être en conformité avec les plans de la Providence.
  • La fonction de l’épée : c’est un caractère intemporel de la Franc-maçonnerie car on n’en utilise plus dans la société d’aujourd’hui. L’épée était un signe de la noblesse. Or les textes rectifiés de l’Ordre Intérieur parle de noblesse de naissance et de noblesse de mérite, précisant que la noblesse de naissance ne dispensera pas de la noblesse de mérite. L’épée est le symbole de l’honneur et de la force de la foi. Celui qui est noble met son honneur dans la cause de la foi.

“Les trois pas maçonniques qui vous ont porté à l'Orient vous annoncent ce que vous devez à l'auteur de toutes choses, à vos Frères et à vous-même. L'Equerre vous désigne que si vous remplissez avec exactitude et régularité tous ces devoirs, vous devez espérer de parvenir à la lumière du vrai Orient.”

Cf. Matthieu 22:37.

On peut rapprocher cette partie du texte à la triple perspective de l’ouvrage de Saint Martin, “Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l'homme et l'univers”. Ce ternaire-là est intéressant. “Qu’est-ce que je fais là ?” Ce sont ces trois pas qui y répondent… Si on parle de « vrai Orient », est-à-dire qu’il y a faux Orient ? Ce n’est pas parce que ce n’est pas vrai que c’est faux. (cf. les Philosophes de la scholastique : différence entre le pain et le vrai pain). De même, il y a une différence entre l’Orient et le Vrai Orient. Il y a des choses qui sont fondamentalement ce qu’elles doivent être : elles sont alors « vraies ». Ce vrai Orient est quelque part au fond de nous. Et un jour, nous pourrons y accéder. La portée est infiniment grande !

“L'interpellation qui vous a été faite vous apprend que si l'homme a perdu la lumière par l'abus de sa liberté, il peut la recouvrer par une volonté ferme et inébranlable dans la pratique du bien. Le Compas sur le coeur est l'emblème de la vigilance avec laquelle vous devez réprimer vos passions et régler vos désirs. Et votre engagement vous lie irrévocablement à tout ce que vous avez promis à Dieu et à vos Frères.”

Le thème de la répression des passions est un thème fondamental dans la philosophie antique, repris par le christianisme. Au 4e siècle, celui-ci acquiert une base philosophique issue de la tradition grecque via Saint Augustin. La base fut un platonisme tardif (Cicéron) très teinté de Stoïcisme. Or le mot d’ordre du Stoïcisme est de réprimer les passions inutiles et de se concentrer sur ce qu’il y a de vrai en nous, jusqu’à pratiquer un certain détachement. Ce qui ne dépend pas de nous, nous n’avons aucune liberté à son égard. En revanche, ce qui dépend de nous, c’est ce que nous voulons être au fond de nous-même. Et c’est finalement ce qu’il y a de plus important. Les passions est ce que nous subissons (étymologie), étant passifs.

“Vous avez prononcé cet engagement tenant la main droite sur l'Evangile et sur l'épée du Vénérable Maître qui était posée dessus. L'Evangile est la loi du Maçon, qu'il doit sans cesse méditer et suivre. L'épée qui était posée par dessus signifie la force de la foi en la parole de la vérité, sans laquelle la loi seule ne saurait conduire le Maçon à la vraie lumière.”

On retrouve ici le fait qu’il y ait une lumière et la vraie lumière. L’objectif est de contempler la vraie lumière qui est en nous, même si nous avons du mal à la voir. L’acte rituel permet de s’y poser un moment. C’est une démarche qu’on inscrit dans son être de manière active, ayant une signification. La métaphore magique est totalement inopérante pour la FM. qui aussi foncièrement différente que de lire un ouvrage ou même un rituel.

Le thème de la vrai lumière est le mieux exploité dans le rectifié qui lui donne un traitement particulier.

“Je dois vous prévenir ici qu'une sage précaution, dictée par la prudence, a fait changer dans une assemblée générale de l'Ordre l'ancienne formule du serment maçonnique usitée jusqu'alors, et qu'à cette époque on y a substitué celle de l'engagement que vous avez prononcé. Cependant comme l'ancienne formule pourrait avoir quelque rapport aux mystères de l'Ordre, le Convent Général, en l'abolissant pour la pratique, arrêta néanmoins qu'elle serait conservée dans l'instruction que vous recevez maintenant. Il est donc de mon devoir de vous en donner lecture.

Ancienne formule du serment des Apprentis Maçons.”

En effet, lors du Convent des Gaules de 1778, un certain nombre de rectifications ont été apportées. Notamment celle du Serment. Dans la maçonnerie française et anglaise de l’époque (et maintenant encore) il y avait des châtiments « corporels » dans le serment. Naturellement, il n’est jamais question de les appliquer. Il y a des gens cependant, au XVIIIe qui pouvaient prendre ça au sérieux, car à cette époque les supplices « légaux » étaient courant, sans même parler d’une criminalité endémique.

En Angleterre, ces châtiments « corporels » ont été retirés de la formule du serment en 1986.

Qu’est-ce que c’est la Tradition ? Où commence le respect de la Tradition ? Quand on jette un regard académique sur cette question, on se rend compte que la Tradition n’est pas incompatible avec le changement.

“Je reviens à l'explication des cérémonies de votre réception. On a exigé votre consentement pour sceller de votre sang vos engagements, mais le Vénérable Maître s'est contenté de votre bonne volonté et a seulement figuré le sacrifice. Vous avez ensuite été reçu Franc-Maçon par trois coups de maillet sur le Compas dont la pointe était posée sur votre coeur.”

C’est un grand classique de la Franc-maçonnerie. Dans le rectifié, on précise qu’on peut utiliser un seringue pour asperger un liquide rouge sur la poitrine du candidat. La limite entre le respect traditionnel et le bizutage est souvent ténue, aussi faut-il rapidement en venir au moment où VM rassure le candidat.

“Le sang vous rappelle que ce fut par l'effusion du sang que l'alliance du Seigneur fut formée avec Abraham, père du peuple choisi ; que ce fut par le sang que la loi donnée à Moïse sur le Sinaï fut pratiquée dans le Temple ; que c'est enfin par le sang que la loi de grâce a été établie et propagée. Les trois coups sur le coeur vous désignent l'union presque inconcevable qui est en vous de l'esprit, de l'âme et du corps, qui est le grand mystère de l'homme et du Maçon, figuré par le temple de Salomon.”

Rappelons les 3 grands types de sacrifice biblique :

  • Le sacrifice d’Abraham, c’est la circoncision
  • Le sacrifice de Moïse, c’est le sacrifice des animaux
  • Le sacrifice final est celui du Christ.

“Vous avez été ensuite renvoyé à l'Occident pour y recevoir la lumière, mais le premier rayon a été si faible qu'à peine avez-vous pu distinguer les objets. Il a suffi cependant pour vous faire apercevoir les épées qui étaient tournées contre vous, mon cher Frère, ces épées désignent les dangers infinis qui environnent l'homme dans sa sombre demeure, et qu'il n'aperçoit que lorsqu'il commence à se connaître.

Le faible rayon de lumière que vous avez reçu est une des plus importantes leçons que l'Ordre puisse vous donner. Vous sortiez d'une profonde obscurité, qui vous retraçait les ténèbres dans lesquelles est plongé l'homme qui ne s'est pas encore étudié, et qui croit néanmoins tout connaître. Vous désiriez la lumière, mais vos yeux étaient trop faibles pour la contempler dans son éclat. On a dû vous y préparer par d'utiles précautions. Accoutumez-vous de bonne heure, mon cher Frère, à penser que, quoiqu'elle soit faite pour éclairer tous les hommes, cependant tous les yeux ne sont pas également disposés à la recevoir. Les préjugés forment souvent une barrière impénétrable à sa clarté. Sa force est victorieuse lorsqu'elle se déploie, mais il faut provoquer cette force par des désirs bien épurés, et malheureusement plusieurs Maçons prennent leur curiosité pour un vrai désir et se croient dignes de tout. Evitez cet écueil, il pourrait vous devenir funeste en vous faisant négliger les qualités essentielles que vous devez soigneusement acquérir. Evitez surtout de vous ériger en juge de votre propre mérite. Travaillez seulement comme Apprenti à mériter tout ce qui pourrait vous être utile, et reposez-vous sur les soins des Maîtres, dont le devoir sera d'aller au-devant de vous lorsqu'ils vous rencontreront sur la route qui conduit vers eux. On vous a replongé dans l'obscurité, on vous a ensuite rendu la lumière dans tout son éclat, et dès lors vous avez vu distinctement tous les Frères armés pour votre défense, et tous les autres objets que la Loge pouvait vous offrir.

On vous a appris par là que, toute faible qu'est la lumière que l'homme apporte en naissant, s'il la néglige il peut la perdre en entier et tomber dans de plus épaisses ténèbres, mais aussi qu'il peut l'accroître beaucoup par le bon usage qu'il en fait, et qu'il doit même espérer de découvrir par elle la vérité, malgré les nuages épais qui la cachent aux yeux du vulgaire. C'est alors qu'ouvrant les yeux à un nouveau jour il voit avec admiration et étonnement la multitude des secours que la bonté divine a établie autour de lui pour le diriger et le défendre.

La flamme qui a brûlé devant vous et qui est passée comme un éclair vous apprend que celui qui s'enorgueillit de ses talents et de ses découvertes peut en perdre bientôt tous les avantages, et que les honneurs et la gloire de ce monde s'échappent devant lui comme une ombre, ne laissant dans son coeur que des regrets.”

Le Sic Transit Gloria Mundi, est un rituel qui n’est pas maçonnique. Ce rituel, dit de dérision, utilisé lors du couronnement du Pape jusqu’au XXe siècle, se faisait avec un étoupe enflammée, en disant la même chose. En réalité, c’est un rituel qui tire son origine de la Rome antique & païenne. Lorsqu’un général victorieux était reçu en triomphe, un esclave sautait dans son char en disant qu’il n’oublie pas qu’il n’était qu’un homme. Cheminement curieux pour arriver dans un rituel maçonnique. L’initiation est bien un commencement. Quand on sait qu’on est “moins”, on peut espérer devenir “plus” (cf. la pensée de Pascal).

Comme on l’a vu ce soir, ce texte ne peut pas être lu de manière machinale.